Certaines voitures transcendent leur époque pour devenir des monuments de l’histoire automobile. La Pagani Zonda F fait partie de ce cercle très fermé, aux côtés de la Ferrari F40 ou de la McLaren F1. Présentée en 2005, cette supercar italienne ne se contente pas d’offrir des performances exceptionnelles : elle incarne une philosophie de construction artisanale et une approche puriste de la conduite qui en font aujourd’hui l’une des voitures les plus recherchées par les collectionneurs.
Une Zonda en hommage au maestro Fangio
Au Salon de Genève 2005, Horacio Pagani dévoile sa création la plus aboutie à ce jour : la Zonda F. Le « F » n’est pas un simple suffixe technique. Il rend hommage à Juan Manuel Fangio, quintuple champion du monde de Formule 1 et mentor personnel d’Horacio Pagani.
Cette relation dépasse le simple parrainage. Fangio a joué un rôle déterminant dans la naissance de Pagani Automobili. C’est lui qui a présenté le jeune designer argentin à Mercedes-AMG dans les années 1990, facilitant l’accès aux moteurs V12 qui équiperont toutes les Zonda. Fangio est décédé en 1995, avant même de voir rouler la première Zonda. Dix ans plus tard, cette version F lui rend l’hommage qu’il mérite.
Pagani limite délibérément la production à 25 exemplaires pour préserver l’exclusivité du modèle. Cette rareté assumée participe au mythe et transforme chaque Zonda F en pièce de collection dès sa sortie d’usine.
Un V12 AMG poussé à son paroxysme
Un moteur Mercedes-AMG revu par Pagani
Sous le capot arrière de la Zonda F bat un V12 atmosphérique de 7,3 litres signé Mercedes-AMG. Mais Pagani ne se contente pas de poser ce bloc tel quel. L’équipe de San Cesario sul Panaro retravaille profondément la mécanique.
Le système d’admission d’origine laisse place à un collecteur en aluminium hydroformé conçu spécifiquement pour cette application. L’échappement passe en titane pour gagner du poids et libérer quelques chevaux supplémentaires. Les bielles reçoivent un traitement titane pour supporter un régime moteur relevé à 7 000 tr/min.
Le résultat : 602 chevaux à 6 150 tr/min et 760 Nm de couple à 4 000 tr/min pour la version de base. La déclinaison Clubsport, plus radicale, grimpe à 650 chevaux. Ces chiffres placent la Zonda F au niveau des références absolues de l’époque : la Ferrari Enzo et ses 660 chevaux, ou la Porsche Carrera GT et ses 612 chevaux.
Des performances dignes d’une légende
Avec un poids à sec de seulement 1 230 kg, la Zonda F affiche un rapport poids/puissance exceptionnel de 489 chevaux par tonne. Cette légèreté extrême transforme chaque accélération en expérience viscérale.
Le 0 à 100 km/h tombe en 3,6 secondes, un chrono impressionnant pour 2005. Mais c’est surtout la manière dont la voiture développe sa puissance qui marque les esprits : linéaire, progressive, avec une montée en régime accompagnée d’une symphonie mécanique inoubliable. La vitesse maximale dépasse les 345 km/h, confirmant le statut d’hypercar de ce modèle.
À titre de comparaison, une Bugatti Veyron de la même époque écrase ces chiffres avec ses 1 001 chevaux. Mais la Zonda F ne joue pas dans cette catégorie. Elle privilégie l’engagement du pilote et la pureté des sensations plutôt que la surenchère technologique.
Un châssis carbone qui repousse les limites
La Zonda F n’est pas une simple évolution cosmétique des versions précédentes. Pagani repense en profondeur la structure pour gagner en rigidité et perdre du poids.
La monocoque en fibre de carbone bénéficie de nouveaux tissages plus résistants. Les sous-châssis avant et arrière passent en chrome-molybdène, un alliage plus léger que l’acier traditionnel. Les jantes en magnésium de 19 pouces à l’avant et 20 pouces à l’arrière réduisent les masses non suspendues. Même les écrous de roue reçoivent un traitement titane.
Pour la première fois sur une Zonda, Pagani propose des freins carbone-céramique en option. Ces disques de 380 mm encaissent des sollicitations extrêmes tout en résistant mieux à la fatigue thermique que les disques acier.
Les suspensions Öhlins entièrement réglables permettent d’adapter le comportement de la voiture selon l’usage. Les bras de suspension redessinés modifient légèrement la géométrie pour améliorer le feeling et la précision en courbe.
L’aérodynamique fait l’objet d’une attention particulière. L’aileron arrière fixe monobloc remplace la solution en deux parties des modèles précédents. Les rétroviseurs migrent sur les portières pour ne plus perturber le flux d’air autour de l’aileron. Un splitter avant plus imposant et un diffuseur arrière sophistiqué génèrent un appui aérodynamique de 600 kg à 300 km/h (270 kg à l’avant, 330 kg à l’arrière). Ces chiffres garantissent une stabilité remarquable à haute vitesse.
Les déclinaisons de la Zonda F
La Zonda F Roadster
En 2006, Pagani dévoile la version découvrable de la F. Contrairement à beaucoup de cabriolets qui prennent de l’embonpoint, la Zonda F Roadster ne pèse que 30 kg de plus que le coupé.
Cette prouesse s’explique par la rigidité initiale exceptionnelle de la monocoque carbone. Pagani n’a pas besoin de renforcements structurels massifs pour compenser l’absence de toit. Une barre anti-retournement en chrome-molybdène, visible derrière les sièges, suffit à garantir la sécurité des occupants.
La mécanique reste identique : même V12, même boîte manuelle, mêmes performances. Seul le plaisir change avec la possibilité d’entendre le chant du moteur sans filtre et de profiter du ciel italien.
La Zonda F Clubsport
La version Clubsport pousse le curseur un cran plus loin. Avec 650 chevaux et 780 Nm, elle vise clairement les circuits. Les réglages de suspension deviennent plus fermes, l’aérodynamique gagne en efficacité.
En 2008, pilotée par Marc Basseng, la Zonda F Clubsport boucle un tour du Nürburgring Nordschleife en 7 minutes 24 secondes. Ce chrono la place devant des références comme la Ferrari Enzo, la Bugatti Veyron ou la Koenigsegg CCR sur ce tracé mythique.
Ce record confirme que la Zonda F ne se contente pas de briller en ligne droite. Son châssis, sa direction et son équilibre général en font une machine redoutablement efficace sur piste.
L’expérience de conduite : entre brutalité et finesse
Conduire une Zonda F ne ressemble à rien d’autre. Dès l’installation à bord, l’environnement frappe par son mélange de luxe artisanal et de radicalité sportive. Le cuir Nappa côtoie la fibre de carbone apparente. Les commandes en aluminium usiné répondent avec une précision mécanique d’horlogerie.
La boîte manuelle à six rapports signée Cima constitue le cœur de l’expérience. À une époque où les robotisées commencent à s’imposer, Pagani fait le choix assumé du purisme. Le levier se manipule avec légèreté, les passages de vitesses demandent du doigté mais récompensent par une connexion directe avec la mécanique. Pas de palettes au volant, pas de mode sport : juste un embrayage, un levier et un pilote.
La direction hydraulique TRW demande de la force physique mais délivre un retour d’informations exceptionnel. Chaque aspérité de la route remonte dans les mains. Le poids dans le volant varie en fonction de l’appui sur le train avant, permettant de sentir exactement ce que font les pneus. Cette richesse de sensations a disparu des supercars modernes équipées de directions électriques.
Le châssis rigide traduit instantanément les commandes du pilote. L’équilibre naturel de la voiture inspire confiance : légère tendance au sous-virage à l’entrée des courbes rapides, puis possibilité d’ajuster la trajectoire à l’accélération grâce à la propulsion et au V12 généreux en couple.
Le système de contrôle de traction se montre très (trop) intrusif. Horacio Pagani a toujours privilégié la sécurité de ses clients. Résultat : dès qu’il détecte un début de glissement, l’électronique coupe brutalement la puissance. Beaucoup de pilotes choisissent de le désactiver pour profiter pleinement du potentiel de la voiture. Une fois libérée de cette bride, la Zonda F révèle un comportement prévisible et exploitable, même aux limites.
La visibilité surprend par sa qualité. La verrière en forme de goutte offre une vision panoramique. Les longs rétroviseurs organiques, magnifiquement dessinés, se révèlent réellement fonctionnels. On n’a pas l’impression d’être enfermé dans un bunker comme dans certaines supercars contemporaines.
Un statut de collection hors norme
En 2005, une Pagani Zonda F se négociait autour de 470 000 livres sterling, soit environ 700 000 euros. Un prix élevé qui la plaçait dans la même catégorie tarifaire que la Ferrari Enzo ou la Porsche Carrera GT.
Vingt ans plus tard, la donne a radicalement changé. Les Zonda F en bon état s’échangent désormais entre 6 et 12 millions d’euros selon leur historique, leur kilométrage et leurs spécifications. Certains exemplaires particulièrement recherchés dépassent ces montants. La voiture ayant appartenu à Benny Caiola, premier client de Pagani et ami intime d’Horacio, puis rachetée par Pagani lui-même, est estimée à plus de 7 millions d’euros.
Cette explosion des valeurs s’explique par plusieurs facteurs. D’abord la rareté absolue : 25 coupés produits seulement. Ensuite le statut iconique acquis au fil des années, renforcé par des apparitions remarquées dans les plus grands événements automobiles. Enfin l’appartenance à une génération de supercars aujourd’hui révolue : purement mécaniques, sans hybridation, sans électronique envahissante.
Pagani a lancé en 2022 le programme Rinascimento (Renaissance), un service de restauration officiel pour les Zonda anciennes. Ce programme garantit l’authenticité des interventions et permet de maintenir ces voitures dans un état optimal. Il renforce encore leur statut de pièces de collection et leur potentiel d’investissement.
La Zonda F se compare désormais aux grands classiques du XXe siècle : Ferrari F40, McLaren F1, Porsche 911 GT1. Elle partage avec ces icônes une approche sans compromis de la performance et une aura qui dépasse largement le simple objet automobile.
Pourquoi la Zonda F reste une référence absolue
La Zonda F arrive à un moment charnière de l’histoire de Pagani. C’est la dernière version vraiment routière avant les déclinaisons extrêmes que seront la Cinque, la Tricolore ou la mythique Zonda R. Elle offre encore un équilibre entre utilisabilité quotidienne (relative, bien sûr) et performances de premier plan.
C’est aussi la dernière Zonda équipée exclusivement d’une boîte manuelle. Les versions suivantes adopteront une robotisée à simple embrayage, moins satisfaisante à l’usage. Pour les puristes, la F représente donc l’apogée de la lignée des Zonda de route.
La qualité de fabrication atteint des sommets rarement égalés. Chaque élément est pensé, dessiné, usiné avec une attention maniaque au détail. Horacio Pagani applique à l’automobile les standards de l’industrie aérospatiale où il a fait ses armes. Résultat : une cohérence esthétique et une finition qui placent la marque italienne au niveau des manufactures horlogères suisses.
La Zonda F symbolise une époque révolue, celle des moteurs atmosphériques géants, des boîtes manuelles, des châssis sans assistance électronique omniprésente. Les hypercars modernes offrent des performances supérieures, mais au prix d’une complexité technique qui éloigne le pilote de la mécanique. La F conserve cette connexion directe, brutale, enivrante.
Son influence dépasse largement les 25 exemplaires produits. Elle a ouvert la voie aux Zonda suivantes, toujours plus radicales, et a inspiré la philosophie de la Huayra qui lui a succédé en 2011. Même si Pagani a depuis évolué vers des technologies plus modernes, l’ADN de la F reste présent dans chaque voiture sortant de l’atelier de San Cesario sul Panaro.
La Zonda F prouve qu’une petite manufacture indépendante peut rivaliser avec les géants de Maranello ou de Sant’Agata Bolognese. Elle démontre que la passion, le talent et l’obsession du détail peuvent produire des voitures aussi désirables que les plus grands noms de l’industrie. Pour ces raisons, elle mérite pleinement sa place au panthéon des supercars légendaires.

